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1ère partie : Condamnation pénale d’une banque pour pratique commerciale trompeuse et recel de ladite pratique trompeuse, pour avoir commercialisé des prêts immobiliers en francs suisses dénommés « Helvet immo »

Publié le : 20/04/2022 20 avril avr. 04 2022

Tribunal correctionnel de PARIS – 13ème Chambre
Décision du 26 février 2020 – N° 12290076010

Rappel du contexte


La banque BNP PARIBAS, via l’une de ses filiales BNP PERSONAL FINANCE, a mis en place un type de prêt immobilier original : il s’agissait de proposer des crédits « plus attractifs » que les crédits à taux variables pratiqués dans les années 2006-2007 (juste avant la crise de 2008 dite des subprimes). Et ces prêts étaient présentés comme « stables », des investissements de « bon père de famille », au regard de la stabilité (à l’époque) du franc suisse : il restait donc à convaincre les cibles des démarcheurs et commerciaux, de réaliser des investissements locatifs, l’achat d’un appartement de rendement étant financé au moyen de ce prêt baptisé « Helvet Immo ».

En réalité, ce produit financier est doublement variable :
  • Le capital prêté en francs suisses, et qui sera à rembourser en euros, varie selon l’évolution du taux de change entre les deux monnaies ;
  • Et le taux d’intérêt périodique varie également en fonction du taux « swap francs suisses 5 ans ».
En conséquence de ces doubles variations, la durée du prêt peut être allongée ou raccourcie, selon que les effets des variations sont défavorables, ou favorables, aux emprunteurs.

Enfin, si le montant des mensualités reste en principe inchangé en cas d’allongement de la durée du remboursement, il en va tout autrement si ce rythme s’avère insuffisant pour solder la totalité du prêt : dans ce cas, sur les 5 dernières années de remboursement, les échéances sont déplafonnées, et risquent donc… d’exploser, sans aucune limite.

Mais, nulle crainte ! La banque avait vanté la stabilité du produit : une stabilité comparable à celle d’un prêt à taux « FIXE », mention qu’elle a d’ailleurs utilisé en lettres majuscules, dans l’offre de prêt... (alors qu’il s’agissait d’un taux fixe uniquement pour les 5 premières années, avant de commencer, ensuite, à fluctuer).

Le grain de sable vint de la dévaluation de l’euro face au franc suisse :


        

Donc, celui qui avait emprunté un capital de 100 000 € en 2007, doit rembourser en 2021, 57 273 € de capital en plus, sans compter les intérêts !



Et celui qui avait emprunté un capital de 300 000 € en 2007, doit rembourser en 2021, 171 819 € de capital en plus, sans compter les intérêts !

Le drame humain qui en a résulté : des retraités ont dû se remettre au travail, d’autres ont dû vendre leur résidence principale, d’autres encore ont pris la voie du surendettement…
 

L’absence de secours des juridictions civiles


Jusque-là, pour la Cour de cassation (française) :
  • L’appréciation du caractère abusif des clauses, au sens de l’article 212-1 (alinéa 1er) du Code de la consommation, ne doit porter ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert, pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
  • La Cour de cassation a approuvé les Cours d’appel d’avoir jugées « claires et compréhensibles » lesdites clauses, après avoir rappelé qu’elles constituaient l’objet principal du contrat ;
  • La Cour de cassation a également balayé un autre argument soulevé par certains emprunteurs, qui avaient invoqué la défaillance de la banque dans son obligation d’information, et donc, la responsabilité civile de cette dernière ;
  • Encore, la Cour de cassation a estimé que la clause de monnaie de compte fixe une prestation essentielle caractérisant le contrat et ne peut donc, étant claire et compréhensible, donner lieu à une appréciation de son caractère abusif.

Ces arrêts défavorables aux emprunteurs :

Cour de cassation, 1ère Chambre civile, 20 février 2019, pourvoi n° 17-31.065
Cour de cassation, 1ère Chambre civile, 20 février 2019, pourvoi n° 17-31.067
Cour de cassation, 1ère Chambre civile, 20 février 2019, pourvoi n° 17-31.079
Cour de cassation, 1ère Chambre civile, 10 avril 2019, pourvoi n° 17-28.995
Cour de cassation, 1ère Chambre civile, 24 octobre 2019, pourvoi n° 18-12.255
 

Le coup de tonnerre : le jugement du tribunal correctionnel de PARIS du 26 février 2020

Dans son jugement du 26 février 2020, le Tribunal a retenu que :
« Il est ainsi suffisamment établi que la commercialisation du prêt Helvet Immo présente les caractéristiques d’une pratique commerciale trompeuse aux termes de l’article L. 121-2 du Code de la consommation en ce que notamment :
  • Elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle,
  • Elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses portant sur les caractéristiques essentielles du prêt et de nature à induire en erreur sur son coût ou sur le calcul du coût,
  • Elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps dans sa communication commerciale des informations substantielles concernant le coût ou le mode de calcul du coût du crédit.
« Il ne fait pas de doute que les consommateurs ainsi trompés ont pris une décision commerciale qu’ils n’auraient pas prise s’ils avaient été bien et loyalement informés ». 

La banque a, par suite, été condamnée à verser plusieurs millions d’euros de dommages-intérêts :
  • Pour réparer les préjudices financiers subis par les victimes,
  • Ainsi que leur préjudice moral (préjudice d’anxiété).

En l’espèce, a donc été démontrée l’existence de pratiques de nature à induire en erreur :
  • L’offre de prêt Helvet Immo est une logorrhée de près de 40 pages,
  • Pas un mot sur la notion de risque de change,
  • Pas un mot sur le risque d’augmentation du capital à rembourser,
  • La détermination du coût total du crédit relève de la recherche des aiguilles disséminées dans la meule de l’offre,
  • Pire encore, il ressort du débat pénal que la banque a sciemment fourni une information trompeuse aux intermédiaires démarcheurs : elle a ainsi « sciemment retiré les notions de risque de change, d’augmentation du capital restant dû, d’amortissement négatif, de déplafonnement, des documents de formation remis aux intermédiaires » (page 279 du jugement) qui seraient ensuite chargés de commercialiser le produit !
Il a également été démontré que ces pratiques ont altéré le comportement économique du consommateur moyen, qui, s’il avait été loyalement informé, n’aurait pas contracté à ces conditions : « Certains témoignages accablants de cadres de la banque ou d’intermédiaires, montraient qu’eux-mêmes n’avaient pas compris l’offre qu’ils soumettaient à leurs clients » (G. Cattalano, commentaire sur le jugement correctionnel préc. Revue des Contrats, septembre 2020).
Dans ces conditions, pouvait-on raisonnablement considérer que cette offre de prêt était « claire et compréhensible » pour le consommateur moyen ?
La réponse s’impose.

Enfin, on observera :
  • que la banque a relevé appel de ce jugement,
  • mais qu’elle a dû verser les sommes auxquelles elle a été condamnée, l’appel n’étant pas suspensif,
  • mais encore et surtout, que la suite de l’histoire, interviendra à la lumière des arrêts postérieurs de la Cour de Justice de l’Union européenne, rendus le 10 juin 2021 : c’est l’objet de notre point suivant.

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